Osmose, osmose inverse

Lorsque deux liquides de concentrations variées en sels sont placés de part et d’autre d’une membrane filtre, l’eau du liquide le moins concentré franchit la membrane pour aller diluer le liquide le plus concentré, presque jusqu’à équivalence des concentrations. C’est l’osmose.
Mais sous certaines conditions de pression, on peut conduire l’eau à effectuer le chemin inverse : elle se retire du liquide le plus concentré, qui se concentre davantage (le concentrat) tandis qu’on obtient de l’autre côté de l’eau osmosée, libérée de la plupart de ses sels.
Ainsi de la vie et de l’égalité. On pourrait espérer que dans un couple harmonieux, dans une société bienveillante, l’équilibre des forces et le partage des ressources se produise naturellement. Mais si cette osmose peut parfois exister, la science nous montre que sous pression, tout s’inverse. Les toxicités et les richesses se concentrent, laissant le reste du monde hâve et dilué. D’où vient cette pression ? Est-elle inhérente à l’homme, à l’animal, au groupe, ou le fruit d’une construction ? Vaste question, à laquelle l’artiste Lucie Shaft se confronte par deux oeuvres.
La première, Osmose, osmose inverse, consiste en un enchevêtrement d’osmoseurs et de résines échangeuses d’ions, à travers lesquelles entre un sirop de grenadine qui ressort séparé en un concentrat amer et sucré et une eau désalinisée, impropre à la consommation.
Lors de la performance spectacle, les spectateurs commencent par goûter au délicieux sirop de grenadine justement dosé, en entrée, qu’on voit, rose et brillant, à travers une gigantesque cuve transparente. Mais à peine en ont-ils bu une gorgée qu’une équipe de performateurs arrive, portant des casques de chantier et des complets cravates. Ils leur demandent de vider leur verre dans la cuve, et prédisent une démonstration technique qui les convaincra tous. Ils parlent fort et s’extasient devant les capacités de l’osmoseur inverse. Ils actionnent alors la pompe de l’osmoseur, et font disparaître tout le contenu de la cuve de grenadine, qui se retrouve dans deux cuves, l’une qui se bouche en permanence, tant la concentration en sucre y est élevée, l’autre qui fuit et déborde d’eau désalinisée. Devant les spectateurs, l’équipe se rapproche de la cuve contenant le sirop de concentration décuplée. Chaque performateur sort une petite fiole de sa poche et collecte une partie du sirop, en disant à son voisin “Ainsi je pourrais refaire du sirop chez moi à chaque fois que je voudrais, sans avoir à venir jusqu’ici”, et chacun de renchérir sur la commodité de cette technologie. Les spectateurs qui ont soif mais n’ont plus rien à boire ressortent déboussolés de cette expérience qui se présentait comme une “performance dégustation”.
Mais si dans l'osmose inverse, la technologie est la cause du drame, peut-elle être aussi le secours?
La deuxième oeuvre est un Dépressuriseur mobile, encore en cours de construction.
2021
